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Fermage/Métayage Vers un nouvel équilibre du statut du fermage? (3ème partie)

Nous publions le compte rendu des propos échangés lors de la table ronde qui s’est déroulée au congrès de la Section nationle des fermiers et métayers les 9 et 10 février derniers à Laval. Leur restitution prend la forme d’une série d’articles. Chacun d'eux relate une étape de cette table ronde.

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Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (1ère partie)

Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (2ème partie)

Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (4ème partie)

Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (5ème partie)

Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (6ème partie)

Vers un nouvel équilibre du statut du fermage ? (7ème partie)

 

Partie 2 – Peut-on encore parler d'équilibre du statut du fermage ?

Je vous propose de poursuivre vers la seconde partie de cette table ronde, qui doit nous permettre de faire un point sur les dispositions adoptées par les lois de 2006 et de 2010. Bertrand vient de le dire, depuis l’après-guerre, les exploitations ont beaucoup évolué. Les exploitations en fermage sont de plus en plus constituées en multipropriété. La reprise ne se fait plus toujours dans un contexte familial : de plus en plus d’exploitations sont reprises dans des cadres hors familiaux. Plus d’un 1/3 des installations aidées sont des installations hors cadre familial.


D'un outil social, le statut du fermage est devenu, par des lois
successives, un puissant outil de modernisation de l'agriculture.
(© Terre-net Média)

L’aspect foncier, la multipropriété, l’exploitation, ce n’est plus simplement le cheptel vif et le cheptel mort tel qu’on l’a connu. C’est aujourd’hui des droits à produire, des contrats de commercialisation, des droits à prime. Ce n’est parfois plus seulement de la production mais aussi de la transformation, de la commercialisation, voire une clientèle.

Si nous observons les travaux de la Snfm, ces dernières années, force est de constater que la Snfm a pris à bras le corps toutes ces questions, dans le souci d’améliorer le statut du fermage. Elle a eu une réflexion sur l’entreprise agricole : elle a proposé de pouvoir institutionnaliser le fonds agricole, elle a également proposé de pouvoir faciliter la cession du bail, et pas uniquement dans le cadre familial, à des tiers pour prendre en compte ce nouveau public.

Ce travail a porté ses fruits d’abord sur le plan syndical puisque la Fnsea, dans le cadre de son Congrès qu’elle a tenue au Mans, a considéré que ces propositions étaient dignes d’intérêt et les a repris à son compte. Le législateur les a également reprise à son compte, sans pour autant aller aussi loin que la Snfm aurait voulue. La Loi d’Orientation Agricole de 2006 a instauré le fonds agricole, et a permis que bailleurs et preneurs, d’un commun accord, puissent conclure des baux cessibles hors cadre familial. Cette loi n’est pas encore très ancienne, mais si on établit un bilan approximatif car on a pas de chiffres très précis en la matière, on s’aperçoit que peu de fonds agricoles ont été déclarés, et peu de baux cessibles ont été créés. Il est important d’avoir le point de vue de Jean-Marie Gilardeau et Maître Blot sur ce bilan mitigé. Comment analysent-ils cette perception des choses par les bailleurs et les preneurs et cette frilosité à s’engager ? A votre avis, pourquoi ce peu d’engouement vis-à-vis de ces deux dispositions, qui pourtant, répondent à une demande forte de la profession agricole, à savoir rendre compétitives les entreprises agricoles ?

JM. Gilardeau : je ne sais pas exactement d’où vient cette frilosité à s’engager. Ce qui est sûr, c’est que le fonds agricole et le bail cessible sont étroitement liés. Et le premier, le fonds agricole n’existera véritablement que si le second existe. Je m’explique : le fonds agricole c’est tout sauf les immeubles, c'est-à-dire la terre et les bâtiments. Ca veut dire que, lorsque quelqu’un veut transmettre son exploitation, car c’est essentiellement là que le fonds va servir, sera constitué un bloc composé de l’ensemble du matériel et du cheptel, les stocks et les droits dont tu as parlé tout à l’heure…etc. Il est bien évident que si vous dites à votre successeur, que vous avez une magnifique exploitation à transmettre, 400 ha, céréales, tout va bien jusque là. Mais si, sur les 400 ha, seuls 50 ha vous appartiennent, que vous pouvez vendre ou louer à votre successeur, et que les 350 autres ha appartiennent à 14 propriétaires différents et qu’il va falloir négocier la cession avec chacun d’entre eux. Il est bien évident que dans ce cas là, le fonds n’existe pas réellement. A quoi vont servir les engins, les silos, si le repreneur ne peut pas avoir accès à la terre ? Je suis persuadé que tant que le bail cessible ne se développera pas, le fonds agricole sera une enveloppe relativement vide.
Pour l’instant, le fonds agricole est une œuvre en état futur d’achèvement : le législateur a prévu la possibilité d’offrir ce fonds en garantie sous forme de nantissement, ce qui est l’équivalent d’une hypothèque. Si l’agriculteur ne rembourse pas, son créancier pourra faire vendre par priorité le fonds et se faire payer là-dessus. La question est de savoir si les principaux créanciers des agriculteurs, à savoir les banques, ont confiance en ce fonds agricole et sont prêts à l’utiliser comme outil de crédit. En dehors de cela, le fonds n’a aucun intérêt. Aujourd’hui, juridiquement, si on veut vendre un fonds, on est censé vendre chacun des éléments. Et ne parlons pas d’une éventuelle location du fonds, comme un fonds de commerce peut être éventuellement loué.
Il y a là matière à réflexion : c’est votre rôle, la profession. Faut-il se limiter au fonds agricole tel qu’on le connaît aujourd’hui offrant des possibilités de crédit ? Ou faut-il aller plus loin et envisager de réglementer la vente et éventuellement, la location, la location-gérance du fonds comme cela a été le cas pour le fonds de commerce ? Si on prend l’exemple du fonds de commerce, on a procédé en 3 temps. Pour l’instant, en matière agricole, nous en sommes au premier temps.

Le plus intéressant et le plus fondamental est le bail cessible : c’est un bail qui ne ressemble à pas grand-chose de ce qu’on connaissait jusque là et qui est une véritable innovation. Pour le juriste, il semble relativement équilibré et correspond à une logique d’investissement côté bailleur ou une logique d’entreprise côté preneur. Là, j’avoue que je peine à comprendre pourquoi il n’a pas connu beaucoup de succès. Il y a bien une cause que l’on peut imaginer côté bailleur : plusieurs m’ont interpellé sur le fait qu’au bout de 18 ans, ils peuvent reprendre le bien sans avoir à fournir de justifications mais le paiement de l’indemnité d’éviction pose question : quel va être le montant de cette indemnité d’éviction ? Bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui ! Les premiers baux ont été conclus en 2006 et il n’y a pas du en y avoir beaucoup. Admettons qu’ils expirent en 2024 : c’est à ce moment là seulement que l’on saura ce que représentera cette indemnité d’éviction. C’est là, la vraie difficulté côté bailleur. J’entends côté bailleur institutionnel, car s’agissant du bail cessible, il faudra distinguer deux catégories de bailleurs : celui qui a toujours une attache quasi-physique à son bien et qui espère toujours, un jour, récupérer la maîtrise de ce bien, pour lui ou sa famille. Ceux-là ne sont sans doute pas très favorables au bail cessible parce que les éléments que j’ai évoqués tout à l’heure rendent plus difficile la récupération de ce bien, ou tout du moins, la rendent onéreuse. En revanche, celui qui investit dans la terre comme on investit ailleurs, et il n’y a pas de raison de ne pas investir dans cette terre, pour celui-ci, le bail cessible est idéal. L’investisseur n’a pas à se soucier de l’identité de son locataire : il a la perspective d’un loyer un petit peu plus fort. Pour ce type de personne, il y a là quelque chose de très intéressant côté bail cessible.

Je vois deux freins au niveau du bail cessible côté fermier : le coût de l’opération avec le versement du pas de porte qui est aujourd’hui possible. Lorsqu’il est demandé, c’est un coût non négligeable qui pourra empêcher une installation. Puis il y a l’augmentation du loyer qui est aussi coûteux. Tout à l’heure, vous évoquiez le pas de porte à l’entrée accompagné d’une augmentation du fermage : à mon avis, ça sera fromage ou dessert. Il faudrait que le locataire soit un peu idiot pour accepter fromage et dessert. Si je verse un capital à mon propriétaire, je ne vais quand même pas en plus lui verser une rente augmentée. Vous allez devoir y réfléchir. Deuxième chose, si au bout de 18 ans, un propriétaire demande à son preneur de partir avec l’indemnité d’éviction, le fermier n’a pas le choix. Oui, il a le chèque mais n’a plus son outil de travail et n’a plus de parade. Cela peut être un danger. Il n’y a pas vraiment d’avantage à avoir un bail cessible pour celui qui est en place. En réalité, ce fermier mise sur l’avenir. C’est au niveau du successeur que c’est intéressant, au moment où le preneur cesse son activité.

La dualité entre bail ordinaire et bail cessible ? Que choisir ? Ne vaudrait-il pas mieux que le bail ordinaire soit marchand ? C’était un choix en 2006. On avait la possibilité de rendre tous les baux cessibles et le tour était joué. On avait aussi cette possibilité qui a été adoptée, de faire coexister des baux à l’ancienne qui continueront de ne pas être cessibles sauf cas exceptionnels, au profit du conjoint, du Pacsé, des descendants et à côté de cela, des baux qui seront cessibles à quiconque. On a choisit : je ne sais pas qui a pris la décision finale. Le législateur à coup sûr. Ce qui conduit à chaque fois, que vous cédez ou commencez une activité, c’est de vous poser la question de savoir ce que vous choisissez et pourquoi vous le choisissez. Mais je crois qu’on ne vous présente pas assez ces deux possibilités. Pourtant c’est deux articles différents, deux variétés de baux. Il serait logique d’expliquer à chacun, bailleur et preneur, de quoi il en retourne et qu’ils effectuent leurs choix en toute connaissance de cause. Cette démarche n’est pas toujours faite. Cela permettrait déjà de faire démarrer un temps soit peu les baux cessibles. Il est dommage de ne pas se servir d’un outil qui existe.

 

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